mardi 12 novembre 2013

S’exprimer 
en public : en finir avec les idées reçues

Des pros de la prise de parole nous expliquent comment nous exercer intelligemment en nous libérant de quelques 5 préjugés les plus tenaces.

Plus d’une personne sur deux : c’est la part de la population qui appréhende de s’exprimer devant une assemblée, selon le psychiatre Christophe André, auteur de «Psychologie de la peur» (Odile Jacob). Une personne sur trois y renoncerait même carrément. Avec l’angoisse des serpents et celle du vide, la peur de prendre la parole en public serait l’une des plus courantes, toujours d’après le médecin. «C’est particulièrement le cas en France, souligne Laurent Tylski , directeur général d’Acteo Consulting. On y arrive sur le marché du travail sans avoir jamais été préparé à l’exercice. Aux Etats-Unis, champions de l’expression orale, les enfants s’habituent à parler devant les autres dès l’école primaire – pour présenter leur animal préféré, participer à de petits débats…»
Là-bas, nombreuses sont les associations qui offrent aux adultes des occasions de s’initier à la prise de parole. Créée outre-Atlantique et forte de 270.000 membres dans le monde, Toastmasters organise ainsi des réunions conviviales pendant lesquelles chacun est tour à tour orateur et évaluateur et apprend autant de sa propre prestation que de celles des autres. En France, Toastmasters ne compte encore que 300 membres. Et si notre frilosité à nous prêter au jeu oratoire venait de quelques idées reçues propres à nous décourager ? En voilà cinq auxquelles il faut se dépêcher de tordre le cou.
Idée reçue n° 1 : il faut 
forcément savoir improviser pour avoir l’air naturel
En réalité, tout se prépare, même une improvisation. Rien n’est plus dangereux que se lancer sans filet ! «De nombreux cadres de haut niveau misent sur leur talent naturel pour prendre la parole en public, pointe Pia Martin, responsable des formations en communication chez Cegos. Ils se savent charismatiques et pensent connaître suffisamment leur sujet.» Résultat : ils ne suivent aucun plan précis, ont l’esprit d’escalier, réfléchissent à voix haute, multiplient les «euh» et les «en fait», et finissent par perdre leur auditoire.
Pas question, bien sûr, de lire mot à mot un discours écrit à l’avance. Des parties «en roue libre» sont indispensables pour le rendre vivant, mais celles-ci doivent être bien préparées. Même les pros de la scène le disent : c’est l’exercice le plus difficile. «Pour parler avec naturel au théâtre comme devant l’assemblée générale d’une entreprise, il faut s’être longtemps entraîné», confirme Alain Duclos, comédien et cofondateur du cabinet de consultants Avant-Scène. Et pour cela, un seul moyen : travailler le contenu. «Plus le fond est maîtrisé, plus on pourra se concentrer sur la forme lors de la prise de parole», explique Laurent Tylski, qui conseille d’isoler les idées principales – pas plus de trois – et de s’appuyer sur cette trame pour construire son intervention, en y ajoutant anecdotes, exemples, chiffres… L’objectif est de pouvoir monter sur scène muni d’une fiche bristol sur laquelle on aura tout noté sous forme de mots-clés et de réinventer son texte à partir de cette trame, avec ses propres mots et le naturel d’une conversation.
Pour gagner en aisance le moment venu, répétez à voix haute et en marchant. «Efforcez-vous de bien mâcher vos mots, de les incarner, indique Pia Martin. Il faut vivre son discours !» L’idéal étant de s’entraîner devant quelqu’un (collègue, conjoint, enfant). «Lorsque je dois intervenir devant des clients, j’ai toujours une collaboratrice qui fait office de cobaye, confie Gregory Thibessard, DG du groupe de services informatiques Altera. Je répète devant elle et je teste les messages que je veux faire passer.»
Idée reçue n° 2 : pour être un bon orateur, on doit être aussi une bête de scène
Pas besoin de sauter en l’air en hurlant : “I love this company !” On a tous en mémoire l’entrée en scène fracassante de Steve Ballmer, le patron de Microsoft, lors d’une conférence devant les salariés de
la firme de Redmond. Faut-il vraiment en passer par là pour fasciner un auditoire ? «Il n’est pas nécessaire d’être une bête de scène pour établir un bon contact avec le public, assure Pia Martin. Commencer par une anecdote, une question à la cantonade – “Combien parmi vous…” – ou un chiffre frappant suffit souvent à capter l’attention.» Pour introduire une dose de convivialité dans le cadre intimidant de la scène, sourire et contact visuel sont cruciaux. «Je fais bien attention à balayer la salle du regard, mais je ne fixe personne en particulier», indique Isabelle Mirocha, responsable du service clients chez Midas, qui n’hésite pas à se déplacer sur la scène et à souligner son propos par des gestes. Les placides pourront tout à fait rester sagement en place à condition d’éviter les gestes d’autoréassurance – se frotter les mains, se toucher… – qui dénotent un malaise et inspirent la méfiance. «Si, décidément, vous n’arrivez pas à laisser vos mains au repos, cachez-les derrière le dos dans l’attitude du prof : au moins, on ne les verra pas !», conseille Laurent Tylski.
Idée reçue n° 3 : impossible de capter l’attention
sans un diaporama fourni
Trop d’intervenants se 
réfugient derrière leurs slides. Ils espèrent ainsi se donner une contenance et éviter de se confronter à leur auditoire. Mais ils risquent en fait d’éprouver rapidement sa patience. Car les intervenants ont une fâcheuse tendance à se servir de leur présentation PowerPoint comme d’un prompteur en se contentant d’énoncer à voix haute ce qui est écrit à l’écran. «Le public a souvent déjà tout lu avant que vous ayez fini de parler, explique Pascal Haumont, consultant en communication. Résultat : il s’ennuie et décroche tôt ou tard.»
Ce n’est pas une raison pour bannir complètement les diaporamas de vos présentations. Bien utilisés, photos et graphiques permettent de capter l’attention d’un auditoire dont la mémoire est souvent plus visuelle qu’auditive. Isabelle Mirocha s’en sert pour relancer l’attention lors de longues interventions : «Quand on me demande de parler plus de trente minutes, je considère que le monologue est insuffisant. Je scinde alors mon intervention en deux et j’utilise des supports visuels dans la deuxième partie, que je commente au fur et à mesure.» Des titres courts et pas plus de dix lignes de texte sur vos slides aideront le public à comprendre rapidement de quoi il est question, sans déflorer votre sujet. Graphiques et schémas sont bienvenus à condition d’être simples. Enfin, dans une salle avec une lumière artificielle, préférez les arrière-plans sombres et du texte clair. Et inversement dans une salle baignée de lumière naturelle

Idée reçue n° 4 : 
les silences mettent 
l’auditoire mal à l’aise
Pauses et respirations sont 
absolument indispensables. C’est un fait scientifiquement établi : devant un auditoire, on adopte un débit 30% plus rapide qu’en face à face. «Les orateurs courent souvent après leur texte de peur d’ennuyer leur auditoire, et aussi sous l’effet du stress, remarque Laurent Tylski. Alors que seule une diction posée permet de faire passer des messages clairs, compréhensibles et mémorisables par tous.» Rappelez-vous que vous n’êtes pas dans une conversation : la distance qui vous sépare de vos auditeurs se compte en mètres. De leur place, ils perçoivent moins bien les expressions de votre visage. Vous ne pouvez donc pas vous appuyer sur elles pour capter leur attention. «Il faut parler lentement et marquer de 
petites pauses entre les phrases», conseille le comédien Alain Duclos. Utiles pour le public, ces silences le sont aussi pour l’orateur : ils lui permettent de se souvenir de l’idée suivante et de prendre une bonne respiration – et donc, de poser sa voix. Lorsque vous répétez tout haut votre intervention, exercez-vous à compter jusqu’à cinq avant de commencer chaque phrase.
Idée reçue n° 5 : 
le trac sera toujours
plus fort que nous
Il faut cesser de penser à soi et se préoccuper plus des autres. Certes, si vous êtes sujet au trac, il réapparaîtra à chaque circonstance qui le favorise. Après des années de métier, conférenciers, comédiens et concertistes continuent d’éprouver la peur de la scène. Mais il est faux de dire qu’on ne peut rien faire contre. Premier truc : essayer de se décentrer. «Lorsqu’on a le trac, c’est souvent parce qu’on ne pense qu’à nous, ce qui grossit beaucoup l’enjeu, analyse Pia Martin. Mieux vaut focaliser son attention sur les autres et sur ce qu’on va leur apprendre.»
Autre astuce : s’approprier le lieu où l’on s’apprête à parler. «Quand je le peux, j’arrive en avance afin de visiter la salle, ça me tranquillise», confie Olivier Bitoun, animateur de tables rondes dans l’e-commerce et l’agroalimentaire. Et, au moment de prendre la parole, un petit jeu de scène l’aide à se lancer : «Afin d’éviter de passer sans transition de “Je suis assis en silence” à “Je m’exprime devant tout le monde”, je monte sur scène pendant que les gens achèvent de s’installer et je fais semblant de régler le micro ou la hauteur du pupitre… Une manière d’apprivoiser le public en douceur.»
Comme ce sont les premiers mots qui coûtent, apprenez par cœur les cinq ou six phrases d’introduction. Cela vous donnera confiance pour garder le fil de votre discours en ne vous appuyant que sur vos notes.
Enfin, si tout cela n’a pas suffi à calmer votre anxiété, méditez cette réflexion de Scott Berkun. Cet ancien cadre de Microsoft devenu conférencier affirme, dans «Confessions of a Public Speaker» (O’Reilly), que la majorité des interventions sont soporifiques. Vous ne risquez donc rien à endormir votre public : de toute façon, il s’attend à s’ennuyer ferme ! Il suffit, en résumé, de se montrer un rien original pour se placer au-dessus de la majorité des orateurs. De quoi se décomplexer pour de bon.


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