jeudi 14 novembre 2013

Mieux manager grâce 
à la sagesse des Toltèques

Ne pas médire, faire de son mieux, rester sceptique mais à l’écoute… Un livre entend transposer au monde de l’entreprise ces préceptes issus de la tradition amérindienne.

«C’est quoi, ce truc ?» s’est entendu dire Olivier Lecointre, cadre chez Merial, un groupe lyonnais de santé animale, lorsqu’il a présenté les accords toltèques à son équipe. Il a découvert ces accords dans un livre publié en 1997 aux Etats-Unis. Signé par Miguel Ruiz, un neurochirurgien mexicain initié au chamanisme, «The Four Agreements» («Les Quatre Accords toltèques» en français) a fait un carton mondial, avec 4 millions d’exemplaires vendus. Basé sur la sagesse du peuple toltèque (ancêtres des Aztèques), ce code de conduite destiné à nous aider à vivre en harmonie avec nous-même et les autres figure parmi les 50 livres de développement personnel les plus achetés en France.
Dix ans plus tard, «Le Cinquième Accord toltèque», le livre de Miguel Ruiz visant à compléter le premier, a également été un succès. Les outils proposés sont d’une simplicité désarmante, du moins en apparence : ils reposent sur cinq principes hérités des Toltèques, qui sont autant d’accords que l’individu doit passer avec lui-même : «Que votre parole soit impeccable», «Quoi qu’il arrive, n’en faites pas une affaire personnelle», «Ne faites aucune supposition», «Faites toujours de votre mieux» et enfin «Soyez sceptique, mais apprenez à écouter».
Ces fameux accords toltèques viennent de connaître une nouvelle jeunesse sous la plume de Laurence Aubourg et Olivier Lecointre. Ces deux Français, respectivement coach de dirigeants et responsable du changement et de l’innovation des opérations industrielles du groupe Merial, ont en effet eu l’idée de les appliquer au monde de l’entreprise. Leur livre «Manager avec les accords toltèques» (De Boeck) se propose d’apporter sérénité et sécurité aux cadres d’aujourd’hui et de faire émerger une intelligence collective grâce aux enseignements de Miguel Ruiz. Mais que recouvrent exactement ces accords ? Et comment les transposer au monde de l’entreprise ? Suivez le guide.
Accord n° 1 : “Que votre 
parole soit impeccable”
Cette première injonction est une invitation à soigner la qualité de notre expression orale. Elle implique, selon les directives de Miguel Ruiz, de parler avec intégrité, de ne dire que ce que l’on pense
et de ne pas utiliser la parole pour se dénigrer ni pour dénigrer autrui. Or cette dernière sert souvent à exprimer un jugement, notamment en entreprise, où bruits de couloir et médisances sont autant de facteurs de stress et de temps perdu. Pourquoi cette habitude est-elle si répandue ? «Parce que certaines personnes se rassurent en envoyant leurs poubelles émotionnelles vers les autres», analysent Laurence Aubourg et Olivier Lecointre. Egalement parce que le besoin d’appartenance à un groupe nous pousse souvent à médire d’une ou de plusieurs personnes pour nous rapprocher d’autres.
«Avez-vous observé le pourcentage de conversations dont l’essentiel est consacré à juger les autres : le patron, le collègue, le voisin, le conjoint ou la conjointe, le gouvernement, le service d’à côté, le fournisseur…», remarquent les deux auteurs. Les supprimer du jour au lendemain risque de casser l’ambiance. L’antienne est connue : «Si on ne peut critiquer personne, on n’aura plus grand-chose à dire !» Mais le jeu en vaut la chandelle, car c’est un moyen d’instaurer un climat de confiance.
Pratiquer la parole impeccable exige de ne pas colporter de rumeurs, d’éviter les sous-entendus et de ne pas parler à la place des autres : fini, les «untel n’a pas l’air content» ! Cela implique également de séparer les faits des impressions personnelles ou des jugements, comme dans les exemples qui suivent : «Le niveau de service a baissé depuis quelques mois» (fait) ; «Je sens que nous courons à la catastrophe» (ressenti); «Le nouveau directeur de filiale est un nul !» (jugement). Appliqué à soi-même, ce principe revient à bannir des phrases comme : «Que je suis bête !» ou «Quel idiot !». Respecter les autres, c’est d’abord se respecter soi-même.
Autre exercice : quand vous vous adressez à vos collaborateurs, essayez toujours de remplacer le mot «mais» (un véritable «tyran saboteur», selon les deux auteurs) par «et». Evitez les phrases du type : «Nous avons dépassé nos objectifs, c’est formidable, mais 2013 s’annonce difficile.» Dites plutôt : «Vous avez fait preuve d’une énergie formidable pour dépasser les objectifs en 2012 et elle nous sera utile pour affronter 2013.»
Accord n° 2 : “N’en faites pas 
une affaire personnelle”
Cette deuxième injonction amène à prendre du recul sur la perception que nous avons des autres
et de nous-même. «Ce que les autres disent et font n’est qu’une projection de leur propre réalité et de leurs croyances. La prise de conscience de cela vous évitera des souffrances inutiles», explique Miguel Ruiz. Cet accord semble plus facile à énoncer qu’à pratiquer. Comment, en effet, ne pas être affecté personnellement par une procédure de licenciement, une stratégie de harcèlement ou tout autre événement stressant ? «Faites la différence entre votre mission, votre rôle, la façon dont vous les remplissez et vous-même en tant que personne», préconisent Laurence Aubourg et Olivier Lecointre. N’essayez pas de régler tous les problèmes seul. Demandez de l’aide si nécessaire. Et résistez à la tentation de vouloir avoir raison à tout prix. C’est particulièrement vrai pour le «chef», qui doit apprendre à se mettre en retrait, à écouter, ou à poser simplement la question : «Qu’attendez-vous de moi ?»
Mais attention : pratiquer ce
deuxième accord ne signifie pas balayer d’une main insouciante les reproches qui vous sont faits, sous prétexte qu’ils ne sont qu’un reflet des croyances d’autrui et ne vous touchent pas. «Il faut rester à l’écoute», recommandent Laurence Aubourg et Olivier Lecointre.
Subtil, n’est-ce pas ? Pour y arriver, voici quelque trucs. Managers, proscrivez les formules condescendantes, du type : «Attends, je vais TE le faire.» Ce qui sous-entend : «Tu n’y arriveras pas tout seul.» «Je peux t’aider ?» est une meilleure façon d’aborder vos collaborateurs pour un vrai travail d’équipe. Efforcez-vous aussi de remplacer le mot «pour» par «avec». Ne dites pas : «Je réalise ce projet pour Jean», mais «avec Jean». Une manière de partager la responsabilité et d’alléger votre fardeau.
Accord n°3 : “Ne faites 
aucune supposition”
Qui n’a jamais imaginé susciter l’enthousiasme avec une proposition qui s’est soldée par un flop ? Ou supposé, à tort, qu’un sous-entendu avait été compris ? De fait, indiquent Laurence Aubourg et Olivier Lecointre, «notre mental est construit ainsi : il interprète tout». Appliquer ce troisième accord revient donc à poser des questions à ses interlocuteurs avant de préjuger de leur état d’esprit. Ont-ils bien compris votre idée ? Ont-ils des remarques ? Des commentaires ? Des objections ? De quoi ont-ils envie, besoin ou peur ? Pour éviter les malentendus, soyez franc et direct dans votre façon de communiquer. Assurez-vous aussi d’avoir bien saisi leur point de vue.
«Je suis la seule expatriée au sein de mon équipe. Ce n’est pas forcément facile de se comprendre à distance, il nous manque notamment le langage corporel. Ces accords ont permis d’établir assez vite des règles de communication et une certaine confiance», témoigne Hélène, qui travaille chez Merial au sein de l’équipe d’Olivier Lecointre, où les accords toltèques ont été introduits voici trois ans comme autant de principes de collaboration.
Méfiez-vous aussi de vos propres intuitions et demandez-vous toujours : «Mes pensées sont-elles bien un reflet de la vérité ?» Concrètement, vous pouvez faire l’exercice suivant : observez vos pensées parasites et repérez toutes les fois où vous vous dites : «Il a l’air de…», «J’ai l’impression que…».
Il ne s’agit pas de supprimer ces pensées – c’est impossible –, mais d’en avoir conscience.
Dernière astuce : si vous avez du mal à prendre du recul, notez, dans l’isolement de votre bureau, tout ce qui vous passe par la tête sur une personne ou une situation. N’ayez pas peur, écrivez tout, même les pires horreurs ! Relisez ensuite vos notes, après avoir fait «un pas de côté», pour changer votre «point de vue intérieur». L’exercice est riche d’enseignements, surtout s’il est pratiqué avec bienveillance vis-à-vis de vous-même. Autre tuyau : interrogez l’autre en supposant consciemment qu’il a forcément une intention positive pour lui-même et pour l’entreprise. Et laissez-vous surprendre par sa réponse.
Accord n°4 : “Faites 
toujours de votre mieux”
Si cette injonction paraît évidente, c’est sans doute parce que beaucoup d’entre nous l’entendent depuis l’enfance. «Mais elle peut être mal interprétée, avertit Nadia Grand clément, coach au cabinet Calliope Consulting, à Aix-en-Provence. Certains imaginent que cela signifie se dépasser.» Or ce n’est
pas le cas. Cet accord permet au contraire de favoriser un climat de soutien mutuel, en reconnaissant les limites de chacun… et le potentiel de tous. «Si je me sens moins en forme, je décide de me concentrer sur des tâches moins importantes», témoigne Chantal, qui travaille dans l’équipe d’Olivier Lecointre.
Attention, si ce code de conduite offre une marge de permissivité – on peut être fatigué, se tromper, échouer –, il ne promeut pas pour autant le laxisme. Au contraire, il invite chacun à apprendre de ses échecs pour faire mieux la fois suivante. «Faire de son mieux, c’est oser mettre ses idées en pratique», résument Laurence Aubourg et Olivier Lecointre. Il n’y a pas trente-six façons d’y arriver : il faut d’abord et avant tout agir, puis utiliser son expérience afin de progresser. Pour vous mettre dans l’état d’esprit adéquat, bannissez les phrases qui commencent par «j’aurais dû» ou «si j’avais su» : elles ne servent à rien, sinon à vous autoflageller. Remplacez «Je devrais faire ceci ou cela» par «Je vais…». Et, bien sûr, donnez du temps au temps : ne vous attendez pas à des miracles en quelques jours !
Accord n°5 : “Soyez sceptique mais apprenez à écouter”
Trop souvent, on accepte le fonctionnement, la culture, voire l’idéologie de l’entreprise sans la remettre en cause. Cet accord, qui englobe tous les autres, vous encourage à prendre du recul et à penser en dehors du contexte donné. En d’autres termes, poursuivent nos auteurs, «ne vous croyez pas vous-même, ni personne d’autre. Utilisez la force du doute pour remettre en question tout ce que vous entendez : est-ce vraiment la vérité ?»
Au bureau, cela implique d’être conscient que l’entreprise est, elle aussi, soumise à l’emprise des croyances émanant de son secteur et des individus qui la composent. Ne pensez pas que seuls des experts peuvent contribuer à sa réussite : vous avez votre place au sein du collectif. Ne croyez pas non plus que les émotions et les baisses de régime ne doivent pas intervenir dans la vie professionnelle : l’organisation est humaine puisqu’elle est composée d’individus.
Enfin, soyez bien conscient qu’une entreprise est un nid de paradoxes et que les réponses aux questions que vous vous posez ne sont ni blanches ni noires, mais plutôt dans une zone de gris complexe. Pour vous en convaincre, demandez-vous comment être dépendant d’un supérieur hiérarchique tout en faisant preuve d’autonomie dans ses décisions ? Comment être leader d’une équipe et encourager l’auto-organisation ? Comment être reconnu pour son travail alors que les résultats sont ceux de l’équipe ? Une solution salutaire pour ne plus se laisser guider par l’urgence et le stress.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire