Audi ou la quête méthodique de la voiture parfaite: Considérée comme ringarde il y a trente ans, la marque aux anneaux est devenue aussi désirable que Mercedes et BMW. Le résultat d’une poursuite incessante de l’excellence.
Après sept semaines d’attente, les époux Huber ont passé une journée «fantastique» et «géniale» : visite des chaînes de montage, déjeuner, séance photo personnalisée à côté de leur nouveau bijou, une A5 Sportback bleu métallisé à 40.000 euros. Pour s’asseoir derrière le volant, ils ont sagement attendu leur tour. Chaque jour, 160 clients sont ainsi conviés à l’Audi Forum de Neckarsulm, près de Stuttgart. Tout est prévu : les enfants ont leur espace jeu, les chiens disposent de leur aire d’accueil, et les grands patientent en rêvant dans le showroom, entre une R8 Spyder à 184.000 euros et une A8 L à 213.000 euros, avant d’acheter un porte-clés à la boutique des produits dérivés…
Rattrapage express. Quand la plupart des constructeurs expédient la remise des clés dans une concession de banlieue, la marque aux anneaux a élevé ce moment au rang de cérémonie pour ses clients. Viser l’excellence, de la conception jusqu’à la remise des clés en passant par le service après-vente : voilà l’exigence qui a permis à Audi, filiale de Volkswagen, de passer en moins de trente ans du statut de marque ringarde et moribonde à celui de fantasme sur roues. Au début des années 1980, Audi est encore un constructeur de petites berlines pour Allemands à bretelles, à mille lieues de l’univers de Mercedes et de BMW, qui triomphent sur le haut de gamme. Depuis, il a opéré un rattrapage fulgurant. En vingt ans, le chiffre d’affaires monde a été multiplié par six et la production par trois. En 2012, Audi a vendu 1,455 million de voitures. Plus que Mercedes et presque autant que BMW.
Prendre la pole position. La crise ? Quelle crise ? La marque aux anneaux a dégagé 5,4 milliards d’euros de marge opérationnelle en 2012, soit la moitié des bénéfices de Volkswagen. Et elle vise le leadership mondial sur le segment premium en 2015. Sûre de son coup, elle prévoit d’accroître de 40% ses capacités de production d’ici à trois ans. Le pilote de cette renaissance s’appelle Ferdinand Piëch. Petit-fils du fondateur de Porsche – autre marque du groupe Volkswagen –, c’est un ingénieur brillant et visionnaire. Son ambition inquiète ses cousins, qui l’écartent de l’héritage automobile familial.En guise de revanche, Piëch emploie toute son énergie à métamorphoser Audi en constructeur haut de gamme. «Il est parti de rien : sa voiture phare, l’Audi 50, c’était le même type de modèle que la Volkswagen Polo de l’époque», souligne Pascal Pennec, rédacteur en chef adjoint d’«Auto Plus». Le mot d’ordre de Piëch est aussi l’ADN et le slogan d’Audi depuis 1971 : «Vorsprung durch Technik», «l’avance par la technologie». Piëch transpose le savoir-faire acquis chez Porsche. En 1980, il lance la première transmission intégrale Quattro sur les voitures de tourisme. Ensuite, les innovations s’enchaînent : 1989, le premier moteur TDI (diesel à injection directe) ; 1993, la première carrosserie en aluminium ; 2003, la boîte à double embrayage de série… Un bond technologique consacré par des trophées sportifs avec 11 victoires sur 13 éditions des 24 Heures du Mans entre 2000 et 2012 !
Priorité à la R&D. Pour conserver son avance technologique, Audi n’hésite pas à faire parler le chéquier. D’ici à 2016, il va investir 11 milliards d’euros dans la recherche et développement et dans l’amélioration des chaînes de production. Aujourd’hui, près de 9 000 personnes travaillent à la division recherche. Parmi elles, les 180 ingénieurs du Lightweight Design Centre de Neckarsulm ont pour unique mission de mettre les top-modèles d’Audi au régime. C’est ainsi que la dernière A6 pèse 80 kilos de moins que sa grande sœur et affiche une consommation de carburant en baisse de 20%. Pour étoffer ses savoir-faire, Audi s’est aussi offert l’an dernier le constructeur italien de motos Ducati, qui apporte ses compétences dans l’usage des fibres de carbone et la miniaturisation des moteurs.
La classe italienne. «Vorsprung durch Design» : la formule n’existe pas, mais le succès et l’identité d’Audi doivent beaucoup à un grand manitou de la planche à dessin, l’Italien Walter de Silva. Débauché en 2002, il a été distingué par le Compas d’or 2011 en Italie, et le prix du design 2010 en Allemagne pour l’A5 Coupé – «la plus belle voiture que j’aie jamais dessinée», assure-t-il. Depuis 2002, il a signé tous les détails qui identifient instantanément une Audi : ses yeux – phares effilés, LED pour l’éclairage de jour – et sa bouche – la calandre trapézoïdale single frame. Le budget design ? Top secret. Ce qui est sûr, c’est qu’Audi ne regarde pas à la dépense. Sept designers sont ainsi affectés au dessin des phares. Et tous les projets intermédiaires sont réalisés à l’échelle réelle, en maquettes dynamiques, pour les voir rouler, quand d’autres se contentent de modélisations sur écran.Une technologie au top, des courbes de rêve : il ne restait qu’à séduire de nouvelles clientèles. Dès 1996, le constructeur tape juste avec l’A3, sa première compacte premium.
Le début du cauchemar pour BMW et Mercedes, qui ne proposent alors que des berlines. D’une douzaine de modèles en 1996, Audi est passé à 36 à ce jour, et vise les 60 en 2020. Parfois, il faut s’y reprendre à deux fois. En 2001, la marque s’aventure sur le segment des petites citadines avec l’A2 : elle jette l’éponge au bout de quatre ans. «L’A2 cassait les codes et était trop chère pour sa taille», tacle Alexandre Guillet du «Journal de l’automobile». Mais dès 2010, Audi est de retour avec l’A1 : un carton planétaire ! Et depuis 2006, la gamme Q, des SUV (utilitaires sportifs) qui draguent les familles, déclenche un tel engouement que la production peine à suivre : jusqu’à huit mois d’attente pour un SQ5 en France aujourd’hui.
Si Audi peut multiplier les modèles tout en gardant une rentabilité maximale, c’est grâce aux synergies avec Volkswagen, sa maison mère. Le géant allemand a réussi à rationaliser la production automobile comme nul autre avec ses plateformes sur lesquelles plusieurs modèles de diverses marques peuvent être fabriqués.
Mutualisation gagnante. La plate-forme MQB permet d’assembler sur une même ligne des Seat, des Skoda, des Volkswagen ou des Audi (A3, TT et Q3). En termes de rentabilité, c’est très futé : chaque fabricant conserve ses propres usines, mais la mutualisation des composants autorise des économies de 20 à 30% sur le développement et la production des modèles.Ce système n’interdit pas à Audi de proposer une personnalisation sans limites pour ses modèles les plus chers. Il existe ainsi 2.700 sortes de rétroviseurs, 50.000 versions du siège conducteur et 28 800 types de portières avant pour les berlines A8. Et si le nuancier propose 41 couleurs de peinture extérieure, le client peut aussi commander la «couleur de sa cravate», précise Hans Grossmann, guide de l’usine depuis vint-neuf ans. «A l’époque de la première A8, le directeur a demandé combien il y avait d’exemplaires strictement identiques sur les 105.000 unités produites.
La réponse était : deux !»La conquête de l’international s’est aussi déroulée sans fausse note. L’allemand exporte 80% de ses voitures, contre une sur deux il y a vingt ans. Ce succès tient au flair de Ferdinand Piëch, qui a misé sur la Chine dès 1988. Bien lui en a pris : avec plus de 400.000 voitures vendues en 2012, ce pays est le premier marché mondial d’Audi. Aux Etats-Unis, la marque entend refaire son retard grâce à un nouveau site de production, au Mexique, prévu pour 2016. Et l’Inde, où elle ne vend que 10 000 unités l’an mais pointe déjà en tête des premium, pourrait être la Chine de demain.
Un employeur attractif. Côté ressources humaines, la firme aux anneaux occupe la pole position au classement des employeurs allemands les plus séduisants pour les jeunes diplômés. A l’image d’excellence s’ajoutent les opportunités de carrière – plus de la moitié des postes offerts sont pourvus en mobilité interne –, et des rémunérations attractives. En 2012, ses salariés allemands (ouvriers inclus) ont reçu une prime moyenne de 8.030 euros nette d’impôts, contre 7.650 chez BMW et 3.200 chez Mercedes. Enfin, ils bénéficient d’un bilan de santé annuel ainsi que d’une crèche d’entreprise, un avantage rare outre-Rhin.
Pour accompagner sa montée en gamme, Audi a eu l’idée de s’inspirer des codes marketing du luxe. Ses publicités, classe et épurées, véhiculent un message valorisant la performance technologique. En général, c’est réussi : à l’image du spot qui décrit avec une profusion de détails la fabrication d’un unique millimètre du phare arrière gauche rouge d’une A1. Parfois, ça l’est franchement moins. En 2011, pour vanter le «clean diesel» du Q7, Audi ose ce slogan : «Difficultés respiratoires, hyperréactivité des bronches, bronchiolites infantiles. On continue à ne rien faire ou on se décide à agir ?» S’agissant d’un 4 x 4 dont les émissions de CO2 dépassent la moyenne, c’est du «greenwashing» culotté ! La pub déclenche un tollé. Sans incidences sur les ventes du Q7. La magie Audi…
Showrooms futuristes. Le constructeur investit aussi beaucoup dans le hors média, notamment avec le programme de fidélisation MyAudi.fr, un club façon Nespresso, pour chouchouter le client. Ce qu’aucun fabricant automobile n’avait développé avant lui. Parmi les offres en France : dîner avec Jacques Weber, skier avec Jean-Baptiste Grange ou cuisiner avec Thierry Marx. Sympa !Enfin, le réseau de distribution n’a cessé de monter en gamme. Fini le morceau de moquette dans le coin d’une concession Volkswagen. Audi investit de luxueux bâtiments en forme de terminaux d’aéroport. Dans les grandes villes mondiales, il innove avec un concept de showroom 100% digital : le premier Audi City a ouvert en 2012 à Londres. Dans un décor d’Apple Store, le client peut personnaliser son futur modèle sur tablette tactile et même interagir avec lui grâce aux mouvements du corps. Il repart avec son dossier sur une clé USB. Pour s’affirmer comme le premier des premium, Audi sait qu’il doit continuer de faire rêver.
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