samedi 16 novembre 2013

Steve Jobs: l’initiateur et le gourou de la révolution numérique

Steve Jobs (1955-2011): Le 25 janvier 2010, Apple annonce, lors de la publication de ses résultats, que son chiffre d’affaires dépasse 50 milliards de dollars. Son fondateur, Steve Jobs, déclare simplement en être «surpris», se remémorant le chemin parcouru depuis cette année 1976 durant laquelle, au fond de son garage et avec la complicité d’un ami de jeunesse, il s’apprêtait à créer ce qui allait devenir l’une des marques les plus puissantes du monde. Et à déclencher du même coup la troisième révolution industrielle, celle des technologies de l’information.

Le succès d’Apple se confond avec l’histoire de Steve Jobs. Celle d’un enfant adopté par un foyer californien qui attrape très tôt le virus de l’informatique grâce à son père, machiniste chez un fabricant de lasers.
Dissipé et solitaire, c’est moins de sa scolarité vite interrompue que de ces séances de bricolage en famille que Steve tire son savoir-faire. Lors d’un stage d’été chez Hewlett-Packard, à 15 ans, il rencontre Steve Wozniak, de cinq ans son aîné. Leur passion commune pour les composants électroniques va les rendre inséparables.
Pomme de Newton. Les deux Steve amassent 1.300 dollars en vendant des effets personnels et s’enferment pendant six mois dans le garage des Jobs pour réaliser leur projet : alors que la technologie informatique, coûteuse et encombrante, demeure à l’époque réservée aux entreprises, le tandem imagine le premier ordinateur domestique.
Privilégiant les composants bon marché, ils parviennent à construire une machine compacte et simple d’utilisation. Son prix est fixé à 666,66 dollars par Steve Jobs, ce qui dénote déjà un don hors du commun pour le marketing.
En 1976, les deux amis en vendent 200, tout en créant avec un investisseur la société Apple, ainsi baptisée en référence à la pomme de Newton. L’année suivante, l’Apple II, aujourd’hui encore considéré comme un chef-d’œuvre technique, transforme l’essai.
Son succès est tel que Jobs voit son rêve – faire entrer l’ordinateur dans chaque foyer, au même titre que la télévision et la radio – prendre forme. Dès lors, Apple adopte le slogan «One man, one micro», calqué sur la devise démocratique «One man, one vote».
Grosse déconvenue. Dès 1980, le chiffre d’affaires d’Apple atteint presque 1 milliard de dollars, offrant les conditions d’une introduction en Bourse. L’opération rapporte 240 millions de dollars à Steve Jobs, alors âgé de 25 ans. La cotation de la société lui fait pourtant perdre le contrôle de sa firme. Il ne s’entend pas avec certains managers extérieurs nommés par les actionnaires.
En 1983, John Sculley, qui vient de PepsiCo, devient même P-DG d’Apple. L’année suivante, le lancement calamiteux du premier Macintosh (du nom d’une variété de pommes !) détériore sa relation avec Jobs, qui, écarté des décisions, démissionne en 1985. Sa déconvenue est immense, mais il se remet en selle en rachetant à George Lucas, le créateur de «Star Wars», le studio Pixar (qui lancera, avec Disney, les dessins animés «Toy Story», «Le Monde de Nemo»…).
obs fonde aussi NeXT, qui fabrique des ordinateurs haut de gamme (avec une réussite modeste), puis des logiciels. Pendant ce temps, Apple connaît de multiples déboires, dont l’échec du projet d’organisateur électronique Newton. Sa part du marché informatique fond aussi face à l’offensive de dizaines de fabricants de PC utilisant les logiciels Microsoft.
En 1997, au bord du gouffre, la firme rachète NeXT, qui a développé un système d’exploitation prometteur, pour 400 millions de dollars. Et surtout elle réengage Steve Jobs comme P-DG.
Couleurs vives. Pour le fondateur, la revanche sera d’autant plus savoureuse que son come-back signe, de manière spectaculaire, la renaissance d’Apple. Il reprend en effet, en les améliorant, les recettes sur lesquelles il avait misé au début de l’aventure : design élégant, prouesses technologiques, utilisation simplissime.
Dès 1998, Apple retrouve ses fans grâce au lancement de l’iMac, dont la forme arrondie et les couleurs vives font vieillir tous les PC. Le retour à l’esprit maison est aussi illustré par la campagne «Think different» mettant en scène Einstein, la Callas et Gandhi !
L’engouement redouble avec la sortie de l’iBook, version portable de l’iMac. Jobs est alors l’un des premiers à saisir les nouveaux enjeux de la révolution numérique : la prolifération des appareils photo, caméras vidéo et MP3 transforme les ordinateurs en plates-formes multimédias, dont les logiciels associés fournissent le contenu. Ainsi naissent iTunes, iMovie et iDVD.
Quant au hardware, Apple le fait évoluer en associant dans ses appareils toutes les innovations existantes (généralement développées par d’autres firmes). Cette approche, la «synthèse créative», s’incarne en 2001 dans l’iPod.
Ce baladeur MP3 miniature doté d’une énorme capacité de stockage et d’un design épuré devient vite leader sur le marché. La recette fonctionne aussi avec l’iPhone, smartphone de référence depuis son lancement en 2007. Et tout indique que l’iPad, cette tablette numérique qui pourrait révolutionner la lecture (des livres comme de la presse), va connaître le même succès.
Le buzz orchestré dans le monde entier au début de 2010 autour de cet objet que personne n’avait vu illustre une nouvelle fois le formidable talent marketing de Steve Jobs. «Je n’ai pas été aussi enthousiasmé à l’idée d’acheter quelque chose depuis mes 8 ans», a même écrit un chroniqueur du «New York Times».
Surnommé "iGod". Surfant sur cette «Apple mania», le fondateur d’Apple, donné pour mort puis ressuscité après une greffe du foie, est devenu «iGod», le gourou charismatique du high-tech. Mais c’est aussi le patron le plus performant du début du siècle : depuis 2005, Apple a multiplié son chiffre d’affaires par cinq et ses profits par vingt.
Jobs mérite donc amplement le titre de «manager de la décennie» que lui a décerné le magazine «Fortune» à la fin de 2009.

vendredi 15 novembre 2013

Tout va trop vite ! Et si on ralentissait ?

Constamment sollicités et bombardés d’informations, nous nous agitons souvent en vain. Au boulot comme dans la vie, il faut savoir lever le pied pour gagner en efficacité. Il existe d'ailleurs un mouvement de société en faveur du slow management, slow sexe, slow tourisme... et même du slow drinking. Mais quels sont les bienfaits de la lenteur ?

Slow management, slow sexe, slow tourisme, slow design… la slow attitude se propage dans tous les champs de notre vie. En guise de fil rouge, un désir : celui de pren­dre son temps et de ne plus subir l’urgence. «La lenteur est une forme de résistance à l’accélération du rythme quotidien, affirme Pascale Hébel, directrice du département consommation du Crédoc. Car les répercussions néfastes de cette course con­tre la montre sont nombreuses au 21ème siè­cle : stress, mal-être, insatisfaction quant à la qualité de vie, etc.» Ce phénomène a pris une telle ampleur qu’on ne peut le réduire à un simple effet de mode. D’autant que le concept ne date pas d’hier et qu’il résonne aujourd’hui à l’échelle mondiale, comme l’a démontré le journaliste Carl Honoré dans «Eloge de la lenteur», un best-seller traduit en plus de 20 langues ( 1 ).
Prendre le temps de savourer la vie. C’est au milieu des années 1980, en Italie, qu’un mouvement slow apparaît pour la première fois, le «slow food». En réaction au fast-food et à toute la nébuleuse de la malbouffe, l’association Slow Food vise, dès sa création, à sensibiliser les individus à notre patrimoine culinaire mondial et à lut­ter contre l’uniformisation du goût. Choisir ses produits intelligemment et prendre le temps de les déguster procède d’une certaine vision du monde, aux antipodes de la «McDonaldisation» de la planète. Le mouvement revendique aujourd’hui 100.000 membres dans le monde entier.
Depuis peu, ce modèle s’applique aussi à la boisson. Boire «slow», c’est renoncer à engloutir d’un trait et à la chaîne les ver­res d’alcool pour se consacrer au plaisir de savourer, lentement mais sûre­ment (lire l’encadré page suivante). Et la lenteur s’immisce jusque sous nos couettes : les auteurs de «Slow Attitude. Oser ralentir pour mieux vivre» ( 2 ) consacrent un chapitre entier de leur livre à la nécessité de lever le pied dans nos rapports amoureux et sexuels. Le vrai truc aujourd’hui pour être dans le coup – et surtout pour vivre mieux  –, c’est de prendre son temps et de ralentir le rythme frénétique de nos existences.
Equipés d’objets électroniques toujours plus rapides – la vitesse des connexions devrait septupler d’ici à 2017 –, nous ne laissons pas se reposer notre cerveau, sollicité du matin au soir, sept jours sur sept. La bête noire de l’adepte du «slow» est d’ailleurs son smartphone. Une étude de l’Institut national du sommeil et de la vigilance révèle des chiffres étonnants. Ainsi, 42% des Français dorment avec leur téléphone allumé, sous prétexte d’utiliser l’alarme. Or celle-ci fonctionne même lorsque le mobile est éteint. En fait, les individus ont un mal fou à déconnecter, même la nuit. Réveillées par un SMS, deux personnes sur trois lisent leur message. Pis, une sur cinq y répond ! Sans parler de ceux qui consultent leur téléphone en l’absence même de sonnerie. Persuadés d’avoir entendu leur appareil vibrer ou sonner, 67% des dormeurs disent ainsi avoir reçu des «coups de fil fantômes», selon le Pew Research Center’s Internet American Life Project.
Si les Smartphone facilitent notre vie à bien des égards, ils se révèlent aussi un outil envahissant. Ils permettent surtout de pointer un paradoxe. Si les nouvelles technologies nous font gagner du temps, d’où vient alors ce sentiment d’en manquer ? Le sociologue et philosophe allemand Hartmut Rosa a planché sur la vitesse ( 3 ), phénomène clé de nos sociétés postmodernes. Sa conclusion : ce sentiment vient du fait que les sollicitations augmentent et se renouvel­lent à un rythme effréné (toujours plus d’offres de divertissement, de sources d’information). N’y aurait-il d’autre alternative que «courir ou mourir» ? Le penseur met en garde contre les dangers d’une décéléra­tion : «Dans la roue du hamster, nul ne peut ralentir». Ce qui ne l’empêche pas d’encourager les résistances au niveau individuel pour éviter des sorties de route fatales.
Quand lenteur rime avec performance. On commencera donc par couper son télé­phone à certains moments de la journée, pour calmer le jeu… mais aussi accroî­tre ses performances. C’est ce que Leslie Perlow, professeure de leadership à la Harvard Business School, explique dans un livre ( 4). L’auteure est à l’origine d’une expérience me­née au sein du Boston Consulting Group (BCG), à laquelle ont participé la quasi-totalité des consultants des bureaux de Boston, New York et Washington. Il a été décidé que tous seraient injoignables dès 18 heures, un soir par semaine. L’expérience a été con­cluante. Non seulement les cobayes ont été plus nom­breux que leurs collè­gues des autres bureaux à se déclarer satisfaits de l’équilibre entre vie pro et vie perso (54% con­tre 38%),  mais ils ont aussi jugé leur travail de meilleure qualité (65% contre 42%). D’une manière plus globale, les participants étaient plus nombreux à envisager de rester dans l’entreprise à long terme (58% contre 40%). Quant aux clients du cabinet, loin de se plaindre de l’expérience, ils ont été enthousiasmés par ses retombées positives.
Interdiction de lire ses e-mails le soir. Dans le sillon du BCG, deux entreprises allemandes ont pris des mesures similaires. Henkel a décrété fin 2011 une trêve des mails entre Noël et le jour de l’An, tandis que Volkswagen signait un accord pour bloquer l’accès aux smartphones professionnels à partir de 18 heures. En résumé, face à la difficulté des utilisateurs à déconnecter, ce sont finalement les entreprises qui ont pris les devants. Rares sont celles qui ont cependant admis les vertus de la lenteur. Car cette stratégie du «lent» repose sur une idée qui va à contre-courant de notre manière habituelle de travailler : le principe est de per­dre du temps pour en gagner. La lenteur n’est donc pas l’ennemie de l’efficacité. Ainsi, une sieste de vingt minutes peut faire gagner 20% de productivité ( 5 ).
Mais piquer un roupillon sur son lieu de travail n’est pas encore très bien vu. «Les dirigeants commencent quand même à percevoir les bénéfices de ces temps de pause, expliquent Arabelle Laurans et Marion Périn, consultantes chez HR Valley, société de conseil en ressources humaines. Ils ont compris, par exemple, que les conversations devant la machine à café aident les collaborateurs à se connaître et à mieux communiquer, donc à gagner du temps lors­qu’ils tra­vaillent ensemble. La pause constitue aussi un temps pour penser autrement et sortir du mode automatique, où l’on fait la même chose, de plus en plus vite.» En effet, pendant ces moments où on lève le pied, on laisse au repos le cerveau gauche – celui de la rationalité et de la logique – pour stimuler le cerveau droit, celui de l’intuition et de la créativité.
Procrastiner peut se révéler productif. Il y a les pauses-café, celles du déjeuner, et puis, il y a les vacances ! Encore faut-il savoir en profiter et ne pas passer son temps à lire ses mails. Aux Etats-Unis, seuls 2% des salariés débranchent leur Smartphone et leur ordinateur portable durant cette période. «Il est impératif de déconnecter pour se poser les bonnes questions : sur quels sujets suis-je essentiel et sur lesquels ne le suis-je pas ? affirment Arabelle Laurans et Marion Périn. Et oser se dire que toute question ne mérite pas forcément une réponse immédiate…»
Ce qui nous amène au concept controversé de «procrastination positive». Selon une étude de l’université Carleton, près de la moitié du temps passé «online» au bureau aurait pour but de retarder l’exécution d’une tâche. «Ne jamais remettre au lendemain ce que l’on pourrait faire le surlendemain», écrivait Mark Twain. Et si cet aphorisme nous permettait de gérer notre temps plus intelligemment ? En observant les habitudes de travail d’une équipe composée des vainqueurs de la compétition Intel Science Talent Search, des chercheurs se sont aperçus que le groupe procrastinait de façon productive : les équipiers parvenaient ainsi à hiérarchiser leurs priorités tout en évacuant le stress, heureuse combinaison ayant pour résultat de les rendre plus efficaces (6).
Si bénéfiques soient-elles, la sieste, les pauses, la procrastination et les vacances ne restent que des réponses individuelles à un problème plus général. Pour le penseur Hartmut Rosa, les véritables solutions doivent avant tout être collectives. Et à rechercher dans l’entreprise. Les Scandinaves ont ainsi adopté le «new way of working», qui consiste à changer d’espace de travail en fonction du type d’activité, donc à optimiser son environnement. Un mode d’organisation encore difficile à implanter en France. Atos l’a fait et quelques projets pilotes sont en cours, mais rares sont ceux qui sont portés jusqu’au bout. «Les entreprises demeurent trop focalisées sur des problématiques de surface, alors que les enjeux se situent ail­leurs, affirme Frédérique Miriel, consultante chez AOS Studley, société de conseil immobilier. L’espace de travail doit permettre aux collaborateurs de s’installer à l’endroit qui convient le mieux aux tâ­ches qu’ils ont à effectuer et à leur rythme de travail à un moment donné.»
Des bureaux flexibles et modulables. Chez AOS Studley, les salariés arrivent ainsi le matin avec leur laptop et choisissent leur place : bureaux isolés, espaces collaboratifs… «Travailler dans un cadre rigide est inepte, affirme Gilles Betthaeuser, PDG de la société. De même, forcer les gens à travailler quand ils n’ont rien à faire n’a pas de sens.» Notre temps de travail n’est en effet pas linéaire, surtout dans certains métiers qui connaissent des amplitudes très fortes. «Notre modèle est archaïque et corseté, poursuit Gilles Betthaeuser. Il favorise les dérives. A l’avenir, l’entreprise devrait pouvoir mobiliser ses ressources en cas de besoin et les laisser en veille quand ce n’est pas nécessaire.»
Le «homeworking» s’inscrit dans cette logique de flexibilisation. C’est un temps privatif qui permet de souffler. «La question de l’organisation du travail n’est pas simplement liée au type d’espace proposé, souligne Frédérique Miriel. Il y a une véritable réflexion à mener autour du ma­nagement des équipes, des règles de vie et d’usage… Finalement, la lenteur apporte une meilleure maîtrise de son temps, et cela passe forcément par une plus grande autonomie des collaborateurs.» Modulaire, flexible, décloisonné, multiforme, virtuel… C’est peut-être en imaginant le bureau du futur que notre rêve de pouvoir prendre son temps deviendra une réalité.

(1) Carl Honoré, “Eloge de la lenteur”, éditions Marabout, septembre 2005.
(2) Sylvain Menétrey & Stéphane Szerman, “Slow Attitude ! Oser ralentir pour mieux vivre”, Armand Colin, juin 2013.
(3) Hartmut Rosa, “Accélération. Une critique sociale du temps”, éditions La Découverte, avril 2010.
(4) Leslie A. Perlow, “Sleeping with Your Smartphone. How to Break the
24/7 Habit and Change the Way You Work”, Harvard Business School Press, mai 2012.
(5) Etude menée en 2004 chez Leblon-Delienne, fabricant normand
de statuettes en résine, par le cabinet de formation Genèse des ressources.
(6) Rena Subotnik, Cynthia Steiner & Basanti Chakraborty, “Procrastination Revisited: The Constructive Use of Delayed Response”, “Creativity Research
Journal”, 1999

jeudi 14 novembre 2013

Mieux manager grâce 
à la sagesse des Toltèques

Ne pas médire, faire de son mieux, rester sceptique mais à l’écoute… Un livre entend transposer au monde de l’entreprise ces préceptes issus de la tradition amérindienne.

«C’est quoi, ce truc ?» s’est entendu dire Olivier Lecointre, cadre chez Merial, un groupe lyonnais de santé animale, lorsqu’il a présenté les accords toltèques à son équipe. Il a découvert ces accords dans un livre publié en 1997 aux Etats-Unis. Signé par Miguel Ruiz, un neurochirurgien mexicain initié au chamanisme, «The Four Agreements» («Les Quatre Accords toltèques» en français) a fait un carton mondial, avec 4 millions d’exemplaires vendus. Basé sur la sagesse du peuple toltèque (ancêtres des Aztèques), ce code de conduite destiné à nous aider à vivre en harmonie avec nous-même et les autres figure parmi les 50 livres de développement personnel les plus achetés en France.
Dix ans plus tard, «Le Cinquième Accord toltèque», le livre de Miguel Ruiz visant à compléter le premier, a également été un succès. Les outils proposés sont d’une simplicité désarmante, du moins en apparence : ils reposent sur cinq principes hérités des Toltèques, qui sont autant d’accords que l’individu doit passer avec lui-même : «Que votre parole soit impeccable», «Quoi qu’il arrive, n’en faites pas une affaire personnelle», «Ne faites aucune supposition», «Faites toujours de votre mieux» et enfin «Soyez sceptique, mais apprenez à écouter».
Ces fameux accords toltèques viennent de connaître une nouvelle jeunesse sous la plume de Laurence Aubourg et Olivier Lecointre. Ces deux Français, respectivement coach de dirigeants et responsable du changement et de l’innovation des opérations industrielles du groupe Merial, ont en effet eu l’idée de les appliquer au monde de l’entreprise. Leur livre «Manager avec les accords toltèques» (De Boeck) se propose d’apporter sérénité et sécurité aux cadres d’aujourd’hui et de faire émerger une intelligence collective grâce aux enseignements de Miguel Ruiz. Mais que recouvrent exactement ces accords ? Et comment les transposer au monde de l’entreprise ? Suivez le guide.
Accord n° 1 : “Que votre 
parole soit impeccable”
Cette première injonction est une invitation à soigner la qualité de notre expression orale. Elle implique, selon les directives de Miguel Ruiz, de parler avec intégrité, de ne dire que ce que l’on pense
et de ne pas utiliser la parole pour se dénigrer ni pour dénigrer autrui. Or cette dernière sert souvent à exprimer un jugement, notamment en entreprise, où bruits de couloir et médisances sont autant de facteurs de stress et de temps perdu. Pourquoi cette habitude est-elle si répandue ? «Parce que certaines personnes se rassurent en envoyant leurs poubelles émotionnelles vers les autres», analysent Laurence Aubourg et Olivier Lecointre. Egalement parce que le besoin d’appartenance à un groupe nous pousse souvent à médire d’une ou de plusieurs personnes pour nous rapprocher d’autres.
«Avez-vous observé le pourcentage de conversations dont l’essentiel est consacré à juger les autres : le patron, le collègue, le voisin, le conjoint ou la conjointe, le gouvernement, le service d’à côté, le fournisseur…», remarquent les deux auteurs. Les supprimer du jour au lendemain risque de casser l’ambiance. L’antienne est connue : «Si on ne peut critiquer personne, on n’aura plus grand-chose à dire !» Mais le jeu en vaut la chandelle, car c’est un moyen d’instaurer un climat de confiance.
Pratiquer la parole impeccable exige de ne pas colporter de rumeurs, d’éviter les sous-entendus et de ne pas parler à la place des autres : fini, les «untel n’a pas l’air content» ! Cela implique également de séparer les faits des impressions personnelles ou des jugements, comme dans les exemples qui suivent : «Le niveau de service a baissé depuis quelques mois» (fait) ; «Je sens que nous courons à la catastrophe» (ressenti); «Le nouveau directeur de filiale est un nul !» (jugement). Appliqué à soi-même, ce principe revient à bannir des phrases comme : «Que je suis bête !» ou «Quel idiot !». Respecter les autres, c’est d’abord se respecter soi-même.
Autre exercice : quand vous vous adressez à vos collaborateurs, essayez toujours de remplacer le mot «mais» (un véritable «tyran saboteur», selon les deux auteurs) par «et». Evitez les phrases du type : «Nous avons dépassé nos objectifs, c’est formidable, mais 2013 s’annonce difficile.» Dites plutôt : «Vous avez fait preuve d’une énergie formidable pour dépasser les objectifs en 2012 et elle nous sera utile pour affronter 2013.»
Accord n° 2 : “N’en faites pas 
une affaire personnelle”
Cette deuxième injonction amène à prendre du recul sur la perception que nous avons des autres
et de nous-même. «Ce que les autres disent et font n’est qu’une projection de leur propre réalité et de leurs croyances. La prise de conscience de cela vous évitera des souffrances inutiles», explique Miguel Ruiz. Cet accord semble plus facile à énoncer qu’à pratiquer. Comment, en effet, ne pas être affecté personnellement par une procédure de licenciement, une stratégie de harcèlement ou tout autre événement stressant ? «Faites la différence entre votre mission, votre rôle, la façon dont vous les remplissez et vous-même en tant que personne», préconisent Laurence Aubourg et Olivier Lecointre. N’essayez pas de régler tous les problèmes seul. Demandez de l’aide si nécessaire. Et résistez à la tentation de vouloir avoir raison à tout prix. C’est particulièrement vrai pour le «chef», qui doit apprendre à se mettre en retrait, à écouter, ou à poser simplement la question : «Qu’attendez-vous de moi ?»
Mais attention : pratiquer ce
deuxième accord ne signifie pas balayer d’une main insouciante les reproches qui vous sont faits, sous prétexte qu’ils ne sont qu’un reflet des croyances d’autrui et ne vous touchent pas. «Il faut rester à l’écoute», recommandent Laurence Aubourg et Olivier Lecointre.
Subtil, n’est-ce pas ? Pour y arriver, voici quelque trucs. Managers, proscrivez les formules condescendantes, du type : «Attends, je vais TE le faire.» Ce qui sous-entend : «Tu n’y arriveras pas tout seul.» «Je peux t’aider ?» est une meilleure façon d’aborder vos collaborateurs pour un vrai travail d’équipe. Efforcez-vous aussi de remplacer le mot «pour» par «avec». Ne dites pas : «Je réalise ce projet pour Jean», mais «avec Jean». Une manière de partager la responsabilité et d’alléger votre fardeau.
Accord n°3 : “Ne faites 
aucune supposition”
Qui n’a jamais imaginé susciter l’enthousiasme avec une proposition qui s’est soldée par un flop ? Ou supposé, à tort, qu’un sous-entendu avait été compris ? De fait, indiquent Laurence Aubourg et Olivier Lecointre, «notre mental est construit ainsi : il interprète tout». Appliquer ce troisième accord revient donc à poser des questions à ses interlocuteurs avant de préjuger de leur état d’esprit. Ont-ils bien compris votre idée ? Ont-ils des remarques ? Des commentaires ? Des objections ? De quoi ont-ils envie, besoin ou peur ? Pour éviter les malentendus, soyez franc et direct dans votre façon de communiquer. Assurez-vous aussi d’avoir bien saisi leur point de vue.
«Je suis la seule expatriée au sein de mon équipe. Ce n’est pas forcément facile de se comprendre à distance, il nous manque notamment le langage corporel. Ces accords ont permis d’établir assez vite des règles de communication et une certaine confiance», témoigne Hélène, qui travaille chez Merial au sein de l’équipe d’Olivier Lecointre, où les accords toltèques ont été introduits voici trois ans comme autant de principes de collaboration.
Méfiez-vous aussi de vos propres intuitions et demandez-vous toujours : «Mes pensées sont-elles bien un reflet de la vérité ?» Concrètement, vous pouvez faire l’exercice suivant : observez vos pensées parasites et repérez toutes les fois où vous vous dites : «Il a l’air de…», «J’ai l’impression que…».
Il ne s’agit pas de supprimer ces pensées – c’est impossible –, mais d’en avoir conscience.
Dernière astuce : si vous avez du mal à prendre du recul, notez, dans l’isolement de votre bureau, tout ce qui vous passe par la tête sur une personne ou une situation. N’ayez pas peur, écrivez tout, même les pires horreurs ! Relisez ensuite vos notes, après avoir fait «un pas de côté», pour changer votre «point de vue intérieur». L’exercice est riche d’enseignements, surtout s’il est pratiqué avec bienveillance vis-à-vis de vous-même. Autre tuyau : interrogez l’autre en supposant consciemment qu’il a forcément une intention positive pour lui-même et pour l’entreprise. Et laissez-vous surprendre par sa réponse.
Accord n°4 : “Faites 
toujours de votre mieux”
Si cette injonction paraît évidente, c’est sans doute parce que beaucoup d’entre nous l’entendent depuis l’enfance. «Mais elle peut être mal interprétée, avertit Nadia Grand clément, coach au cabinet Calliope Consulting, à Aix-en-Provence. Certains imaginent que cela signifie se dépasser.» Or ce n’est
pas le cas. Cet accord permet au contraire de favoriser un climat de soutien mutuel, en reconnaissant les limites de chacun… et le potentiel de tous. «Si je me sens moins en forme, je décide de me concentrer sur des tâches moins importantes», témoigne Chantal, qui travaille dans l’équipe d’Olivier Lecointre.
Attention, si ce code de conduite offre une marge de permissivité – on peut être fatigué, se tromper, échouer –, il ne promeut pas pour autant le laxisme. Au contraire, il invite chacun à apprendre de ses échecs pour faire mieux la fois suivante. «Faire de son mieux, c’est oser mettre ses idées en pratique», résument Laurence Aubourg et Olivier Lecointre. Il n’y a pas trente-six façons d’y arriver : il faut d’abord et avant tout agir, puis utiliser son expérience afin de progresser. Pour vous mettre dans l’état d’esprit adéquat, bannissez les phrases qui commencent par «j’aurais dû» ou «si j’avais su» : elles ne servent à rien, sinon à vous autoflageller. Remplacez «Je devrais faire ceci ou cela» par «Je vais…». Et, bien sûr, donnez du temps au temps : ne vous attendez pas à des miracles en quelques jours !
Accord n°5 : “Soyez sceptique mais apprenez à écouter”
Trop souvent, on accepte le fonctionnement, la culture, voire l’idéologie de l’entreprise sans la remettre en cause. Cet accord, qui englobe tous les autres, vous encourage à prendre du recul et à penser en dehors du contexte donné. En d’autres termes, poursuivent nos auteurs, «ne vous croyez pas vous-même, ni personne d’autre. Utilisez la force du doute pour remettre en question tout ce que vous entendez : est-ce vraiment la vérité ?»
Au bureau, cela implique d’être conscient que l’entreprise est, elle aussi, soumise à l’emprise des croyances émanant de son secteur et des individus qui la composent. Ne pensez pas que seuls des experts peuvent contribuer à sa réussite : vous avez votre place au sein du collectif. Ne croyez pas non plus que les émotions et les baisses de régime ne doivent pas intervenir dans la vie professionnelle : l’organisation est humaine puisqu’elle est composée d’individus.
Enfin, soyez bien conscient qu’une entreprise est un nid de paradoxes et que les réponses aux questions que vous vous posez ne sont ni blanches ni noires, mais plutôt dans une zone de gris complexe. Pour vous en convaincre, demandez-vous comment être dépendant d’un supérieur hiérarchique tout en faisant preuve d’autonomie dans ses décisions ? Comment être leader d’une équipe et encourager l’auto-organisation ? Comment être reconnu pour son travail alors que les résultats sont ceux de l’équipe ? Une solution salutaire pour ne plus se laisser guider par l’urgence et le stress.

Savoir encaisser la critique au travail : un exercice en quatre "rounds"

Personne n’aime se voir remis en cause. Une fois digérée, pourtant, la critique est un outil formidable pour avancer. Conseils pour garder la tête froide quand on en prend plein la figure.
On ne badine pas avec la critique : loin de ne froisser que les âmes susceptibles, elle cons­titue une arme redoutable à laquelle tout un chacun est sensible. «Même mal formulée, même abusive, elle recèle souvent un fond de vérité qui nous renvoie à nos faiblesses, explique Isabelle Oggero, experte en management et en communication chez Orsys. C’est pourquoi elle est si dure à accepter, spécialement dans le monde du travail, où nous devons nous montrer forts et impassibles.»
A l’inverse du reproche – qui est souvent attendu et sonne comme une sentence sans appel –, la critique nous prend par surprise, ce qui la rend d’autant plus déstabilisante. «Pour ne pas perdre pied à ce moment-là, je conseille aux
salariés de se souvenir que cela demeure un jugement subjectif émis à un instant T par une personne X, poursuit Isabelle Oggero. Il aurait pu tout aussi bien être différent
venant d’une personne Y.» Reste que si toutes les critiques ne sont pas bonnes à pren­dre, elles sont bonnes à entendre, ne serait-ce que parce qu’elles constituent un feed-back précieux sur notre façon d’être et de faire, un motif de réflexion susceptible de nous inciter, si nécessaire, à changer. Voici les quatre étapes de cet indispensable travail sur soi.
1. Engrangez l’information en contenant vos émotions
Pulsations cardiaques qui s’em­ballent, respiration haletante : au moment où le cerveau enregistre une critique, le corps bouillonne. « C’est un réflexe pavlovien, explique Marc Vachon, consultant en management. Quels qu’en soient le motif ou la personne qui la formule, nous percevons toujours la critique comme une agression.» Or il est indispensable de savoir se contenir au bureau, car laisser éclater sa colère pourrait être pris pour une faute professionnelle ou un aveu de faiblesse. «Personnellement, je me redresse sur mon siège, les deux pieds bien appuyés sur le sol, et je regarde mon interlocuteur droit dans les yeux, témoi­gne Liliane Brisacher, cogestionnaire d’une société immobilière. Cette posture m’aide à me sentir plus solide. Je pratique aussi de longues respirations par le ventre afin d’évacuer mes émotions, la colère, la honte et la tristesse.»
Psychisme dompté, corps détendu, écoutez ce que votre interlocuteur a à vous dire, car il est essentiel de comprendre quels en­jeux se cachent derrière ses mots. «Le seul cas où la critique doit être interrompue, c’est lorsqu’un tiers vous prend à partie en public, souligne Isabelle Oggero. Dans ce cas, il y a tout lieu de penser qu’il cherche à vous humilier. Proposez-lui sèchement de reporter la conversation à plus tard.»
2. Réclamez des justifications,  des exemples précis
Toutes les critiques n’ont pas la même valeur informative : certaines, énoncées sous le coup de la colère ou de l’incompréhension, se révèlent caduques une fois le calme revenu ou le malentendu levé. D’au­tres, en revanche, dévoilent de vrais problèmes. Pour faire la part des choses, demandez des précisions à votre interlocuteur. Par exemple, si votre supérieur vous reproche de ne pas être assez courtois avec les clients, réclamez des exem­ples concrets : avec qui ? Quand ? Où ? Comment ? «Une critique ne vaut que si elle est justifiée, analyse Isabelle Oggero. A défaut, vous êtes en droit de la refuser.» Dites alors à celui qui la formule : «J’entends vos récriminations, mais ne sont-elles pas de l’ordre du ressenti ?» Poussez-le dans ses retranchements : «Vous estimez que je ne suis pas assez disponible. Quand cela s’est-il produit ?»
Identifiez aussi s’il s’agit d’un reproche isolé ou si la personne qui l’exprime est le porte-parole d’un groupe, auquel cas il conviendra de discuter avec chacun des individus concernés.
3. Prenez de la distance, vous ferez le point plus tard
 Ne réagissez pas à chaud. «A ce moment-là, nos mots peuvent dépasser notre pensée, explique Marc Vachon. Proposez plutôt de vous revoir quelques jours après l’en­tretien pour faire un point.» En­tre-temps, inutile de vous épancher dans les couloirs : une critique reste une critique, et la répandre vous-même n’est pas conseillé. «L’idéal est d’en parler avec un collègue bienveillant, mais avec lequel vous n’avez pas de relations poussées, conseille Isabelle Oggero. Il vous dira plus objectivement que vos amis ce qu’il en pense et vous aidera à ne pas surinterpréter la critique.» Par exemple, vous avez pu entendre «tu n’utilises pas assez PowerPoint lors de tes présentations» et comprendre «tu travailles mal». Aussi, n’hésitez pas à reformuler les propos de votre interlocuteur pour prendre la juste mesure de ce qui a été dit, comme le fait David Grignard, ancien cadre pour une société automobile et actuellement à la recherche d’un emploi : «En sortant d’une discussion houleuse, je note tout ce qui a été dit en essayant de rester objectif. Cela me permet de laisser décanter et de me préparer à l’entretien suivant.»
4. Remettez-vous en question mais ne vous excusez pas
Comme nous le disions plus haut, fondée ou infondée, une critique recèle toujours un fond de vérité : une fois passé le stade de l’énervement, elle fournit matière à avancer. «Injustifiée, elle peut signifier que le malaise se trouve ailleurs. A vous de provoquer une conversation pour comprendre ce qui ne va pas», souligne Isabelle Oggero. Justifiée, il convient de l’accepter, sans chercher à négocier. Pas question pour autant de s’excuser, car il est rare qu’on fasse volontairement une erreur dans son travail. Evoquez plutôt les solutions que vous envisagez pour améliorer la situation en nouant un dialogue : peut-être votre interlocuteur a-t-il lui aussi des propositions à vous faire ? Et pour que l’échange soit gagnant-gagnant, n’oubliez pas de le remercier, non pas pour sa critique mais pour… ses conseils.

Ce que les militaires peuvent enseigner aux managers

Prise de décision, cohésion des équipes, leadership, stratégie… Dans bien des domaines, les méthodes de l’armée peuvent inspirer l’action des dirigeants. Démonstration… exécution !
 Sa devise est : «Ils s’instruisent pour vaincre.» Bienvenue à la base de Saint-Cyr Coëtquidan, dans le Morbihan. Fondée par Napoléon il y a deux cents ans, cette prestigieuse institution forme les officiers de l’armée de terre. Mais pas seulement : depuis quelque temps, elle accueille aussi environ 2.000 cadres et étudiants par an pour des sta­ges de management. Ce qui intéresse en premier lieu ces stagiai­res en col blanc ? Le système militaire de leadership et d’enga­gement. «A l’armée, on apprend à commander», rappelle le colonel Cyril Barth, directeur de la Fondation Saint-Cyr. Mais pas d’autoritarisme borné : le cliché, véhiculé par les films ou les récits de service militaire, a vécu. «Ici, nous tâchons de susciter l’adhésion des troupes à un pro­jet, poursuit le colonel. Celui de défendre les couleurs de la France, quitte à aller risquer sa vie au Mali, par exem­ple.»
Certes, entre l’ambiance spartiate des régiments et l’univers feutré des bureaux, tout n’est pas transposable, et il serait absurde de vouloir diriger un service commercial comme un commando de parachutistes. Cependant, dans bien des domaines – prise de décision, motivation des troupes, entraide –, l’armée peut se révéler une source d’inspiration. Revue de détail.
Responsabiliser les hommes. «Contrairement à certaines entreprises qui traitent leurs employés comme des numéros, l’armée essaie de responsabiliser au maximum les personnes, même en bas de l’échelle», assure le capitaine de vaisseau Paul Massart, professeur à l’Ecole de guerre. Cela signifie d’abord leur faire confiance. «Com­mander consiste ­notamment à s’assurer que la mission a été rem­plie dans les conditions souhaitées, résume Patrick Desjardins, directeur des cours au Collège de défense de l’Otan, à Rome. L’officier en charge doit donc éviter au maximum d’interférer dans son exé­cution.» C’est en prenant de la hauteur vis-à-vis de l’action que le chef est efficace et crée l’adhésion de son groupe. En cherchant à se substituer à son collaborateur, il lui enverrait un message très négatif : je ne te fais pas confiance. Un précepte également valable en entreprise.
Ritualiser le retour d’expérience. Connaissez-vous le «retex» ? C’est l’acronyme de «retour d’expérien-ce». Dans l’armée, ce mode de débriefing vient ponctuer chaque opé­ration. Pour favoriser la cohésion, les militaires évitent de se concentrer uniquement sur leurs lacunes. Ils discutent des problèmes rencontrés, bien sûr, mais aussi de ce qui a fonc­tionné. Une méthode utile pour progresser et pour souder les trou­pes. «Dans le privé, souvent, on ne prend pas le temps d’opérer ce retour en arrière», pointe Jean-Louis Raynaud, officier de réserve et directeur de l’«advanced ma­na­ge­­ment programme» de l’Edhec, qui comporte une semaine embarquée sur un bâtiment de la Marine nationale pour découvrir les principes du management militaire. «Du coup, déplore-t-il, on a tendance à réinventer la roue à chaque nouveau projet, ce qui est contre-productif et générateur de stress.» La culture du débriefing a un autre avantage, celui d’éviter les rumeurs et les malentendus, puis­que tout est mis sur la table à cha­que séance. «La franchise est une forme de courage, assure le colonel Barth. A l’armée, on apprend à dire ce qu’on pense, à condition d’y mettre les formes et d’articuler un discours cohérent.» Certains cadres qui, de peur de blesser ou de se faire des ennemis, pré­fèrent laisser pourrir la situation y trouveront matière à méditer.
Faire preuve d’exemplarité. Face à un coup dur, le chef doit s’approprier l’événement et non chercher à s’en décharger en repassant le bébé à un adjoint. Cela requiert du courage et une solide capacité de discernement. Lors­qu’en 2008, pendant une démonstration militaire, un sous-officier du 3e RPIMa a tiré sur la foule après avoir chargé par erreur son arme avec des balles réelles, le colonel chef de corps a rapidement assumé la faute de son sergent en se déclarant publiquement responsable du drame. Une manière de conserver son capital confiance avec le reste de l’équipe. A défaut, en effet, il lui serait devenu impossible d’en obtenir le maximum. «Prendre ses responsabilités devant un obstacle et faire preuve d’exemplarité représentent des éléments de crédibilité énormes, souligne Patrick Desjardins. Et c’est également valable dans le monde civil.»
Cultiver la force du collectif. Dans l’armée, travailler en équipe est la condition du succès. «En opération de guerre, un soldat isolé est un soldat en danger de mort», rappelle le colonel Barth. Si leurs salariés sont rarement confron­tés aux périls de la mitraille, les entreprises accordent néanmoins une importance croissante au travail collaboratif : dans un monde de plus en plus interdépendant, lors­que chacun tire dans sa propre direction sans tenir compte des au­tres, la situation devient vite incontrôlable. Afin de développer l’esprit de corps de vos collaborateurs, proposez-leur de participer à des défis qui ne peuvent être relevés qu’en s’entraidant. C’est ce que fait la Fondation Saint-Cyr avec ses stagiaires. «En participant à nos mises en situation, franchissements de rivière ou construction de radeaux, les ca­dres hyperindividualistes qui travaillaient dans leur coin prennent conscience qu’on peut aller plus loin en groupe», déclare Romain de Bondy, directeur du centre de formation de la Fondation.
Partager l’information avant d’agir.Savoir prendre des décisions en situation de crise est l’une des marques de fabrique des militaires. Pour y arriver, ils apprennent à se poser les bonnes questions, à anticiper les scénarios et, surtout, à recueillir l’avis d’experts en amont. «Dans la plupart des cas, une décision militaire est le fruit d’un travail collectif», explique le colonel Barth. Mais pas question d’organiser un grand brainstorming désordonné. Pour se concerter, les militaires ont une méthode bien à eux : ils alternent des phases de réflexion et des phases de collaboration. D’abord, chacun se concentre sur sa spécialité, puis vient le temps de l’échange d’informations. «En se focalisant sur sa mission sans se préoccuper des autres, on est plus efficace, explique Paul Massart. Lorsque tout le monde se retrouve pour le briefing, les pièces du puzzle vont se compléter.»
Donner un sens à son travail. Dans l’armée, nul ne peut contester les décisions de sa hiérarchie sous peine de sanction. Cela ne dispense pas les responsables de leur donner un sens, bien au contraire. «Tout se joue en amont, explique Jean-Louis Raynaud, à l’Edhec. Il faut prendre le temps d’expliquer à ses troupes dans quel contexte elles vont œuvrer, le pourquoi des consignes et les objectifs visés.» Autre facteur indispensable à la bonne exécution des ordres, le sens de l’intérêt collectif. «Dans l’armée, la hiérarchie fait en sorte que chacun soit persuadé de jouer un rôle dans la réalisation d’un objectif commun», confirme Jean-Louis Raynaud. Sans les hommes de la logistique, par exemple, une offensive en plein désert est vouée à l’échec. «Les entreprises auraient intérêt à établir un processus de transparence rendant plus visible le rôle de chacun dans la chaîne de valeur», poursuit Jean-Louis Raynaud. Un bon moyen, selon lui, de susciter l’«engagement» des salariés.
Traiter un seul objectif à la fois. On trouve de nombreuses analogies entre la stratégie militaire et le marketing stratégique. Pour remporter un marché, une entreprise a souvent un adversaire à battre. L’un des principes développés dans l’armée, applicable dans le civil, est celui de la concentration des efforts sur un objectif précis à un moment précis. Dans un contexte de crise, les moyens manquent. Mieux vaut alors rassembler ses forces pour atteindre une cible ou un marché bien défini plutôt que de se disperser tous azimuts. L’objectif sera plus facilement atteint. Il s’agira ensuite de capitaliser sur cette première victoire pour attaquer d’autres territoires ou d’autres marchés.

mercredi 13 novembre 2013

Au secours, il n’y a que des "vieux" dans mon équipe !

Vous n’avez pas encore 30 ans et vous venez d’intégrer une équipe où la moyenne d’âge dépasse les 50 ans ? Voici comment tirer votre épingle du jeu.
Après une mutation, je suis arrivée dans une équipe de “vieux”. Ils étaient plutôt désabusés, et complètement largués par la technologie. Les discussions du midi n’avaient pas le moindre intérêt», témoigne Séverine, cadre dans la fonction publique. Si, comme elle, vous avez moins de 30 ans et avez été amené à changer de poste en 2012, il y a de fortes chances pour que vous vous soyez retrouvé dans la même situation, entouré de quinquas.
La génération «Y» (née entre 1979 et 1994) et les baby-boomeurs (entre 1946 et 1964) sont en effet les deux tranches d’âge les plus représentées dans l’entreprise : chacune d’elles compte deux fois plus de salariés que la génération «X» (née entre 1965 et 1978), d’où cette cohabitation forcée entre jeunes et moins jeunes. Mais sachez que faire équipe avec des «fossiles» peut être agréable et enrichissant. A condition de dépasser vos préjugés et de réussir à vous faire accepter. Car eux aussi ont des a priori sur vous.
Efforcez-vous de respecter 
les règles explicites et tacites
«Alors, jeune homme, on est encore en week-end ?» Ce matin-là, Frédéric, 26 ans, se fait sermonner par son client. Consultant informatique chez Ysance, une SSII, il est en mission dans une banque où il se rend… en jean et baskets. «Bien qu’il ne soit pas en contact direct avec la clientèle, sa tenue n’a pas été appréciée, notamment par les quinquas, plus à cheval sur la rigueur vestimentaire», raconte Soria Boucebaine, la DRH.
Pour éviter ce genre d’impair,
décryptez rapidement les règles en vigueur. Certaines, comme les horaires de bureau, sont écrites. D’autres sont implicites, mais faciles à saisir (le «dress code», le vouvoiement, etc.). Il en existe aussi de plus subtiles, qui régissent les échanges matinaux devant la machine à café ou, au contraire, chacun derrière son bureau, les déjeuners entre collègues… «Vous devrez les respecter, au moins dans un premier temps, observe Virginie Loye, manager offre et expertise ressources humaines, chez Cegos. Au bout de deux ou trois mois, vous pourrez vous comporter plus librement sans susciter de réaction agacée.»
Soignez votre façon de parler
et surveillez vos propos
Le langage employé et les propos tenus soulignent les différences entre les générations. Soyez donc vigilant sur ce point. Evitez de vous montrer trop direct. Les quinquas, en général, n’aiment pas le débit de mitraillette qu’adoptent spontanément certains jeunes. Bannissez aussi les réflexions du type : «C’est dépassé», «Cela ne se fait plus depuis longtemps», etc. D’abord, elles marquent la différence d’âge, ce qui n’est jamais très élégant. Elles sous-entendent ensuite que votre interlocuteur est hors du coup, contrairement à vous : il risque de percevoir cela comme une tentative de vous placer en position dominante.
Si vous avez des suggestions, optez plutôt pour le mode indirect : «Pourrait-on essayer ce logiciel pour voir s’il répond mieux à nos besoins ?» Contrôlez aussi vos émotions. «J’ai vu un jeune collaborateur arriver en larmes après une rupture sentimentale et annoncer qu’il était trop malheureux pour travailler, raconte Marie Desplats, consultante Orsys en RH et coauteur de “Manager la génération Y”. Ses collègues n’ont pas compris.» Les générations antérieures ne sont en effet pas coutumières du déballage de sentiments en public. En toutes circonstances, faites preuve de pudeur.
Donnez des clés qui expliquent votre mode de fonctionnement
Vous avez d’autant moins le droit à l’erreur que vos aînés ont une opinion a priori négative de vous : plus d’un sur deux (58%) vous jugent individualiste, réfractaire à la culture d’entreprise et peu fiable car peu fidèle (Observatoire social de l’entreprise, Ipsos 2012). Autres préjugés répandus : ils vous trouvent désinvolte, égocentrique, moins motivé, moins efficace et polyvalent que les autres… Pour les détromper, faites en sorte que votre mode de fonctionnement soit mieux compris : ce n’est pas par individualisme que vous voulez de l’autonomie, mais parce qu’une certaine marge de liberté vous permet d’accroître votre efficacité.
Et si vous envoyez des e-mails à un collègue dont le bureau est proche du vôtre, ce n’est pas parce que vous le méprisez, mais pour ne pas le déranger. A l’inverse, lorsque vous ne comprenez pas pourquoi on vous impose de remettre à jour le fichier clients pour la troisième fois en six mois, exigez poliment des explications : quel est l’objectif ? Au bout de deux ou trois demandes de ce type, vos collègues auront le réflexe de vous préciser la finalité des missions qu’ils vous confient.
Misez sur vos spécificités 
pour vous faire apprécier
Pour vous faire accepter, mettez vos talents au service de vos aînés. Même si vous n’avez rien d’un geek, eux vous voient comme un génie de l’informatique. Proposez votre aide en cas de problème sur un mobile, faites découvrir des applis sur iPhone susceptibles d’intéresser vos collègues… Misez aussi sur votre enthousiasme. L’ambiance au bureau est un peu morne ? Rien ne vous empêche d’organiser, une fois de temps en temps, un pot pour réunir l’équipe. «A la Cegos, les moments de convivialité instaurés par les jeunes collaborateurs ont toujours du succès», observe Virginie Loye. Autour d’un verre, toutes les classes d’âge tombent d’accord.

mardi 12 novembre 2013

S’exprimer 
en public : en finir avec les idées reçues

Des pros de la prise de parole nous expliquent comment nous exercer intelligemment en nous libérant de quelques 5 préjugés les plus tenaces.

Plus d’une personne sur deux : c’est la part de la population qui appréhende de s’exprimer devant une assemblée, selon le psychiatre Christophe André, auteur de «Psychologie de la peur» (Odile Jacob). Une personne sur trois y renoncerait même carrément. Avec l’angoisse des serpents et celle du vide, la peur de prendre la parole en public serait l’une des plus courantes, toujours d’après le médecin. «C’est particulièrement le cas en France, souligne Laurent Tylski , directeur général d’Acteo Consulting. On y arrive sur le marché du travail sans avoir jamais été préparé à l’exercice. Aux Etats-Unis, champions de l’expression orale, les enfants s’habituent à parler devant les autres dès l’école primaire – pour présenter leur animal préféré, participer à de petits débats…»
Là-bas, nombreuses sont les associations qui offrent aux adultes des occasions de s’initier à la prise de parole. Créée outre-Atlantique et forte de 270.000 membres dans le monde, Toastmasters organise ainsi des réunions conviviales pendant lesquelles chacun est tour à tour orateur et évaluateur et apprend autant de sa propre prestation que de celles des autres. En France, Toastmasters ne compte encore que 300 membres. Et si notre frilosité à nous prêter au jeu oratoire venait de quelques idées reçues propres à nous décourager ? En voilà cinq auxquelles il faut se dépêcher de tordre le cou.
Idée reçue n° 1 : il faut 
forcément savoir improviser pour avoir l’air naturel
En réalité, tout se prépare, même une improvisation. Rien n’est plus dangereux que se lancer sans filet ! «De nombreux cadres de haut niveau misent sur leur talent naturel pour prendre la parole en public, pointe Pia Martin, responsable des formations en communication chez Cegos. Ils se savent charismatiques et pensent connaître suffisamment leur sujet.» Résultat : ils ne suivent aucun plan précis, ont l’esprit d’escalier, réfléchissent à voix haute, multiplient les «euh» et les «en fait», et finissent par perdre leur auditoire.
Pas question, bien sûr, de lire mot à mot un discours écrit à l’avance. Des parties «en roue libre» sont indispensables pour le rendre vivant, mais celles-ci doivent être bien préparées. Même les pros de la scène le disent : c’est l’exercice le plus difficile. «Pour parler avec naturel au théâtre comme devant l’assemblée générale d’une entreprise, il faut s’être longtemps entraîné», confirme Alain Duclos, comédien et cofondateur du cabinet de consultants Avant-Scène. Et pour cela, un seul moyen : travailler le contenu. «Plus le fond est maîtrisé, plus on pourra se concentrer sur la forme lors de la prise de parole», explique Laurent Tylski, qui conseille d’isoler les idées principales – pas plus de trois – et de s’appuyer sur cette trame pour construire son intervention, en y ajoutant anecdotes, exemples, chiffres… L’objectif est de pouvoir monter sur scène muni d’une fiche bristol sur laquelle on aura tout noté sous forme de mots-clés et de réinventer son texte à partir de cette trame, avec ses propres mots et le naturel d’une conversation.
Pour gagner en aisance le moment venu, répétez à voix haute et en marchant. «Efforcez-vous de bien mâcher vos mots, de les incarner, indique Pia Martin. Il faut vivre son discours !» L’idéal étant de s’entraîner devant quelqu’un (collègue, conjoint, enfant). «Lorsque je dois intervenir devant des clients, j’ai toujours une collaboratrice qui fait office de cobaye, confie Gregory Thibessard, DG du groupe de services informatiques Altera. Je répète devant elle et je teste les messages que je veux faire passer.»
Idée reçue n° 2 : pour être un bon orateur, on doit être aussi une bête de scène
Pas besoin de sauter en l’air en hurlant : “I love this company !” On a tous en mémoire l’entrée en scène fracassante de Steve Ballmer, le patron de Microsoft, lors d’une conférence devant les salariés de
la firme de Redmond. Faut-il vraiment en passer par là pour fasciner un auditoire ? «Il n’est pas nécessaire d’être une bête de scène pour établir un bon contact avec le public, assure Pia Martin. Commencer par une anecdote, une question à la cantonade – “Combien parmi vous…” – ou un chiffre frappant suffit souvent à capter l’attention.» Pour introduire une dose de convivialité dans le cadre intimidant de la scène, sourire et contact visuel sont cruciaux. «Je fais bien attention à balayer la salle du regard, mais je ne fixe personne en particulier», indique Isabelle Mirocha, responsable du service clients chez Midas, qui n’hésite pas à se déplacer sur la scène et à souligner son propos par des gestes. Les placides pourront tout à fait rester sagement en place à condition d’éviter les gestes d’autoréassurance – se frotter les mains, se toucher… – qui dénotent un malaise et inspirent la méfiance. «Si, décidément, vous n’arrivez pas à laisser vos mains au repos, cachez-les derrière le dos dans l’attitude du prof : au moins, on ne les verra pas !», conseille Laurent Tylski.
Idée reçue n° 3 : impossible de capter l’attention
sans un diaporama fourni
Trop d’intervenants se 
réfugient derrière leurs slides. Ils espèrent ainsi se donner une contenance et éviter de se confronter à leur auditoire. Mais ils risquent en fait d’éprouver rapidement sa patience. Car les intervenants ont une fâcheuse tendance à se servir de leur présentation PowerPoint comme d’un prompteur en se contentant d’énoncer à voix haute ce qui est écrit à l’écran. «Le public a souvent déjà tout lu avant que vous ayez fini de parler, explique Pascal Haumont, consultant en communication. Résultat : il s’ennuie et décroche tôt ou tard.»
Ce n’est pas une raison pour bannir complètement les diaporamas de vos présentations. Bien utilisés, photos et graphiques permettent de capter l’attention d’un auditoire dont la mémoire est souvent plus visuelle qu’auditive. Isabelle Mirocha s’en sert pour relancer l’attention lors de longues interventions : «Quand on me demande de parler plus de trente minutes, je considère que le monologue est insuffisant. Je scinde alors mon intervention en deux et j’utilise des supports visuels dans la deuxième partie, que je commente au fur et à mesure.» Des titres courts et pas plus de dix lignes de texte sur vos slides aideront le public à comprendre rapidement de quoi il est question, sans déflorer votre sujet. Graphiques et schémas sont bienvenus à condition d’être simples. Enfin, dans une salle avec une lumière artificielle, préférez les arrière-plans sombres et du texte clair. Et inversement dans une salle baignée de lumière naturelle

Idée reçue n° 4 : 
les silences mettent 
l’auditoire mal à l’aise
Pauses et respirations sont 
absolument indispensables. C’est un fait scientifiquement établi : devant un auditoire, on adopte un débit 30% plus rapide qu’en face à face. «Les orateurs courent souvent après leur texte de peur d’ennuyer leur auditoire, et aussi sous l’effet du stress, remarque Laurent Tylski. Alors que seule une diction posée permet de faire passer des messages clairs, compréhensibles et mémorisables par tous.» Rappelez-vous que vous n’êtes pas dans une conversation : la distance qui vous sépare de vos auditeurs se compte en mètres. De leur place, ils perçoivent moins bien les expressions de votre visage. Vous ne pouvez donc pas vous appuyer sur elles pour capter leur attention. «Il faut parler lentement et marquer de 
petites pauses entre les phrases», conseille le comédien Alain Duclos. Utiles pour le public, ces silences le sont aussi pour l’orateur : ils lui permettent de se souvenir de l’idée suivante et de prendre une bonne respiration – et donc, de poser sa voix. Lorsque vous répétez tout haut votre intervention, exercez-vous à compter jusqu’à cinq avant de commencer chaque phrase.
Idée reçue n° 5 : 
le trac sera toujours
plus fort que nous
Il faut cesser de penser à soi et se préoccuper plus des autres. Certes, si vous êtes sujet au trac, il réapparaîtra à chaque circonstance qui le favorise. Après des années de métier, conférenciers, comédiens et concertistes continuent d’éprouver la peur de la scène. Mais il est faux de dire qu’on ne peut rien faire contre. Premier truc : essayer de se décentrer. «Lorsqu’on a le trac, c’est souvent parce qu’on ne pense qu’à nous, ce qui grossit beaucoup l’enjeu, analyse Pia Martin. Mieux vaut focaliser son attention sur les autres et sur ce qu’on va leur apprendre.»
Autre astuce : s’approprier le lieu où l’on s’apprête à parler. «Quand je le peux, j’arrive en avance afin de visiter la salle, ça me tranquillise», confie Olivier Bitoun, animateur de tables rondes dans l’e-commerce et l’agroalimentaire. Et, au moment de prendre la parole, un petit jeu de scène l’aide à se lancer : «Afin d’éviter de passer sans transition de “Je suis assis en silence” à “Je m’exprime devant tout le monde”, je monte sur scène pendant que les gens achèvent de s’installer et je fais semblant de régler le micro ou la hauteur du pupitre… Une manière d’apprivoiser le public en douceur.»
Comme ce sont les premiers mots qui coûtent, apprenez par cœur les cinq ou six phrases d’introduction. Cela vous donnera confiance pour garder le fil de votre discours en ne vous appuyant que sur vos notes.
Enfin, si tout cela n’a pas suffi à calmer votre anxiété, méditez cette réflexion de Scott Berkun. Cet ancien cadre de Microsoft devenu conférencier affirme, dans «Confessions of a Public Speaker» (O’Reilly), que la majorité des interventions sont soporifiques. Vous ne risquez donc rien à endormir votre public : de toute façon, il s’attend à s’ennuyer ferme ! Il suffit, en résumé, de se montrer un rien original pour se placer au-dessus de la majorité des orateurs. De quoi se décomplexer pour de bon.


lundi 11 novembre 2013

Les cinq clés de la confiance en soi

"Je n’y arriverai jamais", "Je ne suis pas à la hauteur", "J’ai peur…" Si notre 
esprit génère ce genre de doutes, il peut aussi les éliminer. Mode d’emploi.

Soyons lucides, je ne suis pas au niveau. Et je me suis mis toute l’équipe à dos.» Julie, brillante polytechnicienne de 35 ans, se souvient à quel point elle s’était fustigée après une présentation ratée devant un big boss. Alors cadre supérieure dans une grosse banque, elle vivait ce que les psys appellent le «syndrome de l’imposteur», persuadée d’usurper la place de quelqu’un d’autre, qui aurait été plus compétent qu’elle. A l’inverse, sa sœur Marie, artiste peintre, s’épanouissait dans son atelier, sûre d’elle et de son avenir. Bien que les deux jeunes femmes aient reçu la même éducation, l’une était en proie au doute permanent, tandis que l’autre avançait avec confiance. Comment expliquer une telle différence ?
Selon l’Institut de médecine environnementale (IME), la clé de nos comportements réside dans l’estime de soi, laquelle est fondée sur trois piliers. Le tempérament, constitué des motivations et des préférences profondes, se forge de 0 à 6 mois : c’est le socle de la personnalité. La confiance en soi dite spontanée s’affirme à l’âge de
3 ans, lorsque l’enfant se met à dire «non», et se renforce à la puberté. Enfin, le caractère se construit à chaque étape du développement et des expériences vécues par l’individu. Or il suffit d’un manque, d’une défaillance lors de notre développement pour que l’estime de soi soit fragilisée. Adulte, des situations précises – devoir s’adresser à une figure d’autorité comme un PDG, prendre du galon, négocier un gros contrat… – peuvent faire ressurgir cette vulnérabilité. Mais l’estime de soi n’est pas comme la couleur de vos yeux : vous pouvez la faire évoluer. Cinq pistes à suivre pour y parvenir.
1. Prenez appui sur vos 
dispositions naturelles
«J’avais envie d’être laborantine. Mais en fac de biologie, j’ai déprimé. Et le jour où j’ai dû disséquer une grenouille, j’ai décampé.» Céline Chaubard, manager à Companeo (conseil aux PME), a alors bifurqué vers une tout autre filière, la vente, où elle poursuit une belle carrière. «Aujourd’hui, raconte-
t-elle, je suis responsable d’une équipe de télévendeurs. Cela aurait été une erreur de m’obstiner dans la recherche alors que j’ai la fibre relationnelle et le goût du challenge.» «Quand on va vers ses prédispositions naturelles, on risque peu d’échouer», confirme Pascal Vancutsem, coach de dirigeants chez Coaching & Performance.
Pour identifier les vôtres, soyez attentif à vos émotions. Dans quel domaine avez-vous l’impression d’agir avec aisance et plaisir ? Si vous éprouvez un fort sentiment de sécurité intérieure, c’est que vous êtes en phase avec votre nature profonde. A contrario, suivre une voie qui n’est pas la sienne fragilise. C’est ce qui s’est produit pour Julie : en se conformant au schéma parental d’une carrière élitiste, elle a contrarié son goût pour l’expertise financière et altéré son estime d’elle-même. Et quand elle a accédé à une fonction de top management, la belle construction s’est fissurée. Alors qu’en suivant sa vocation artistique, sa sœur a puisé dans ses motivations profondes.
Appuyez-vous, vous aussi, sur vos talents et vos facilités naturels, quelles que soient les directives de votre fiche de poste. Vous aimez le contact ? Servez-vous-en pour créer du lien entre vos collaborateurs, par exemple. Vous êtes enclin à la discrétion mais aimez épauler ? Soyez présent en cas de difficulté.
2. Evacuez les pensées néfastes et les croyances limitantes
Dès que notre ego est touché, nous avons tendance à nous dévaloriser. Il faut faire taire cette petite voix intérieure qui nous juge sévèrement : «Je ne suis pas à la hauteur», «De toute façon, je n’y arriverai pas…» «Ces croyances limitantes nous paralysent, observe Nicolas Dugay, coach et directeur associé de CAA. Car même si elles sont fausses ou simplement exagérées, le cerveau les considère comme vraies. A la moindre situation de stress ou d’incertitude, il les réactivera automatiquement. Il faut les “déraciner” pour les remplacer par des pensées constructives.» Ne croyez pas qu’un simple «mais si, tu vas y arriver» suffira. Pour se persuader qu’on est à la hauteur de la situation, il faut recourir à des contre-exemples «antidotes».
Pour cela, dialoguez sous forme de questions-réponses avec quelqu’un qui vous connaît bien. Par exemple : «Je n’arrive pas à parler spontanément à mon chef de mes idées.» «As-tu déjà eu l’occasion de le faire ?» «Oui.» «Sur des sujets importants ?» «Oui.» «Pourquoi cela a-t-il fonctionné ?» «J’avais élaboré un plan d’action sur un projet.» «Qu’en a-t-il pensé ?» «Il m’a félicité»… C’est efficace pour se rassurer. Autre parade possible, plus utilisée à l’étranger qu’en France : pratiquer la méthode Coué, par le biais d’affirmations positives. «Plus celles-ci seront courtes, spécifiques et formulées au présent, mieux elles neutraliseront vos croyances limitantes», expliquent Rosette Poletti et Barbara Dobbs, des professionnelles de santé, dans «L’Estime de soi» (Editions Jouvence). Depuis sa prise de poste en tant que manager, Céline Chaubard a adopté une autre technique. Chaque soir, elle liste ce qu’elle a effectué de positif dans la journée et les résultats qu’elle compte obtenir le lendemain. «Imparable, dit-elle, pour garder un mental d’acier.»
3. Donnez-vous le droit d’échouer pour ne plus craindre la chute
Une autre croyance se révèle particulièrement ravageuse : se dire qu’on n’a pas le droit de se louper. Elle sévit particulièrement chez les sportifs de haut niveau. «L’erreur est de faire dépendre son estime de soi d’une seule performance ou de ses performances dans un seul domaine, indique Juliette Tournand, coach de dirigeants et de grands navigateurs, auteure de “Secrets du mental” (InterEditions). Car au moindre accroc, tout s’effondre.» Face à cette menace, surtout si vous vous investissez trop dans votre boulot, elle préconise deux remèdes. «Tout d’abord, identifiez au moins trois grandes sources d’équilibre dans votre vie : votre situation familiale, vos relations amicales et un hobby où vous excellez, par exemple. Ainsi, si vous subissez un revers professionnel, les autres aspects vous aideront à préserver votre énergie, vos émotions positives et votre estime de vous.»
C’est ainsi que procède le skippeur Jean Le Cam, qui dispute depuis des années le Vendée Globe. Avant et pendant l’épreuve, il garde toujours en tête l’enjeu de la course, mais il n’oublie jamais qu’il ne s’agit que d’un pan de son existence. Résultat, en cas de contre-performance en mer, il s’appuie sur ses deux autres «raisons d’être», sa famille et sa passion de la technologie, pour se remotiver. «La seconde technique est de concentrer ses efforts sur ce qu’on peut maîtriser, poursuit Juliette Tournand. Boucler un dossier, bétonner un argumentaire, piloter tel projet… Inutile de dépenser son énergie à s’inquiéter pour des éléments hors de notre contrôle.»
4. Affranchissez-vous du regard que les autres portent sur vous
«Tout le monde se fichait de moi, même mon banquier, raconte Guillaume Gibault, qui a créé Le Slip français en 2011. J’ai quand même réussi à lui emprunter 10.000 euros pour un projet qu’il estimait complètement ringard.» Ce patron de 27 ans (lire son témoignage page ci-contre) ne s’est pas laissé déstabiliser par les moqueries. Bien lui en a pris : surfant sur le très en vogue «made in France», sa PME sacrément culottée réalise déjà 300 000 euros de chiffre d’affaires. Pourtant, le regard des autres peut facilement ébranler une estime de soi vacillante. «On entre alors dans un cercle vicieux qui consiste à toujours chercher l’approbation de l’autre», observe le psychothérapeute Frédéric Fanget, auteur d’«Oser, thérapie de la confiance en soi» (Odile Jacob). Pour croire en soi, il faut d’abord se sentir libre.
Ne donnez pas aux autres le pouvoir de vous juger, permettez-leur seulement d’exprimer leur opinion. Et si le doute est exprimé par votre chef ? Minimisez-en autant que possible la portée, comme a appris à le faire Virginie David-Cosme, lorsqu’elle était formatrice chez Air France. «J’avais demandé à mes supérieurs si je pouvais passer du statut d’agent de maîtrise à celui de cadre. C’était légitime, mais ma n + 2 m’a rétorqué : “Je ne suis pas sûre de pouvoir vous faire confiance.” J’ai été tellement choquée que j’en ai développé une cervicalgie aiguë qui m’a forcée à prendre du recul vis-à-vis de mon travail.» Cette mise à distance lui a permis de puiser dans ses ressources : elle a finalement décroché une formation, puis un poste de cadre à la DRH.
5. Visualisez-vous en train de triompher des obstacles
Et si vous deveniez le metteur en scène d’un film où tout se déroule parfaitement ? Vous avez le meilleur rôle, vous réussissez avec brio tout ce que vous entreprenez, vous vous sortez des situations les plus délicates. C’est ce que les coachs sportifs appellent la «visualisation» : vous suscitez une succession d’images mentales où vous atteignez vos objectifs. Jack Nicklaus, l’un des meilleurs golfeurs de tous les temps, avait ainsi l’habitude d’attribuer 10% de sa réussite à sa forme physique, 40% à sa technique et 50% à la visualisation mentale de ses coups (trajectoire, réception, rebond de la balle…).Si cette technique se révèle tellement efficace, c’est parce qu’elle leurre le cerveau. «Que l’individu visualise un geste ou qu’il l’exécute réellement, pour notre cortex, c’est pareil : les connexions neurologiques sont les mêmes», explique Nicolas Dugay.
Détendez-vous et laissez libre cours à votre imagination. «Visualisez une fin heureuse qui couronne un parcours sans faute accompagné d’un sentiment de satisfaction intense, suggère Edith Perreaut-Pierre, ancien médecin militaire et coach, auteure des “Techniques d’optimisation du potentiel” (InterEditions). Ensuite, reprenez le scénario depuis le début, en imaginant cette fois que vous franchissez un à un tous les obstacles rencontrés.» Ainsi, ce directeur informatique, déstabilisé à l’idée de présenter son projet en public, a d’abord visualisé la fin de sa conférence couronnée d’applaudissements. Ensuite, il a mentalement revécu l’expérience en se représentant en train de bredouiller, d’avoir des trous de mémoire, puis en se voyant retomber sur ses pieds. «On peut aussi rechercher dans son passé des réussites similaires à celle qu’on voudrait connaître», souligne la sophrologue Nathalie Bergeron-Duval.
L’intérêt de la visualisation ? Elle mobilise nos cinq sens. Luc a entendu les bravos, connu la satisfaction d’être écouté, éprouvé la peur de perdre le fil de ses pensées, senti sa gorge devenir sèche : des images qu’il a rectifiées en s’imaginant reprendre sa respiration, boire un verre d’eau, consulter ses notes… Il faut répéter ce processus au moins quinze à vingt fois pour ancrer en soi de nouveaux réflexes «pavloviens». L’idéal est même de repérer, au cours de cette session d’imagerie mentale, un stimulus qui vous aidera à trouver une énergie positive avant l’épreuve. Pour Zinedine Zidane, c’était, avant chaque match, d’enfiler systématiquement sa chaussette gauche avant la droite.